Nos sociétés ne sont pas seulement diverses : elles sont traversées par une superdiversité (Vertovec, 2007) faite de migrations multiples, de langues qui se croisent, de cultures qui se rencontrent ou s’opposent, de croyances qui s’affichent, de trajectoires sociales qui se superposent. Dans ce paysage mouvant, l’école occupe une place singulière : elle transmet des savoirs, certes, mais elle devient aussi une scène où se rejouent des tensions sociales autour des inégalités, de la justice et de la reconnaissance (Fraser & Ferrarese, 2011 ; Taylor & Gutmann, 1994) L’école est donc un lieu de tension, de conflits et de débats (ségrégation scolaire par l'origine et/ou le lieu de vie, polémiques autour de la neutralité/laïcité ou du plurilinguisme, résistances institutionnelles aux approches critiques, etc.) mais aussi un lieu d’innovations « par le bas » qui peinent à se faire connaître.
Depuis les années 1990, sous l’impulsion de l’UNESCO (1994, 2005, 2023), la notion d’éducation inclusive s’est imposée. Elle n’a plus pour seule mission d’intégrer les élèves dits « à besoins particuliers » : elle élargit la perspective en invitant à reconnaître et accueillir la pluralité des diversités, qu’elles soient culturelles, linguistiques, religieuses, de genre ou sociales (Banks & Banks, 2019). Mais cette promesse demeure fragile. D’un côté, l’altérité suppose de considérer l’autre comme sujet digne, porteur d’histoire et de légitimité (Levinas, 1971 ; Ahmed, 2012). De l’autre, l’altérisation réduit cet autre à une différence assignée, figée, parfois stigmatisante (Slee, 2011 ; Knight et al., 2022). L’écart entre l’idéal proclamé de l’inclusion et les pratiques d’exclusion persiste. En témoigne la difficulté de mettre en œuvre des programmes et politiques réellement intersectionnels envisageant dans leur ensemble et leur singularité les inégalités de genre, de classe, de race ou encore les situations de handicap.
Répondre à ces défis suppose une approche interdisciplinaire. Mais pas une simple juxtaposition de disciplines. C’est dans les frottements, dans les tensions entre regards, que se dégage un éclairage plus juste. La sociologie rappelle la persistance des logiques de reproduction (Bourdieu & Passeron, 1970 ; Dubet, 2010). L’anthropologie dévoile l’empreinte coloniale qui marque encore les interactions pédagogiques (Erickson, 1987 ; Merry, 2014). Les sciences de l’éducation interrogent les praxeologies dites inclusives, porteuses d’espoir mais aussi de résistances (Florian & Pantić, 2017). La psychologie sociale met en évidence les blessures invisibles de la stigmatisation et de la menace identitaire (Tajfel & Turner, 2004). La philosophie et la science politique posent une question inconfortable mais incontournable : que vaut la reconnaissance si elle ignore les rapports de pouvoir qui la conditionnent ? (Levinas, 1971 ; Fraser & Ferrarese, 2011). La linguistique, quant à elle, insiste sur un paradoxe quotidien : l’école persiste à valoriser le monolinguisme alors que la société vit au rythme du multilinguisme (Cummins, 2001 ; García & Wei, 2014). Enfin, les sciences de l’information et de la communication rappellent que l’inclusion se joue aussi dans les discours publics et les usages numériques qui façonnent désormais les pratiques éducatives (Williamson, Eynon, & Potter, 2020).
Ce colloque s’inscrit dans un contexte où l’Europe a fait de la lutte contre le racisme et les discriminations une priorité politique (Commission européenne, 2025). Il dialogue avec le projet Inclusive Diversity in European Education System (IDEES), conduit par un consortium d’universités (Lorraine, Bruxelles, León, Calabre). Mais il ouvre aussi la perspective : les expériences africaines et américaines viennent enrichir la réflexion, déplacent les évidences et invitent à penser l’éducation inclusive dans une approche comparatiste et postcoloniale. Le comité organisateur invite les (jeunes) chercheurs à soumettre des propositions dans le cadre des axes thématiques présentés ci-dessous mais encouragent aussi très chaleureusement les praticiens (équipes éducatives, enseignants, assistants sociaux, étudiants, etc.) à présenter leur expérience et témoignage autour d’un programme, d’une expérience ou d’une initiative concrète.
Axe 1 : Altérisation, inégalités et politiques éducatives
Cet axe interroge les mécanismes sociaux et institutionnels qui continuent de produire des formes d’exclusion. Loin d’être neutre, l’école reproduit des inégalités sociales, ethniques, religieuses ou de genre (Bourdieu & Passeron, 1970 ; Gillborn, 2023). Il s’agit d’analyser comment certaines politiques publiques, tout en se revendiquant inclusives, entretiennent paradoxalement des logiques de stigmatisation ou de ségrégation (Dubet, 2004 ; Slee, 2011).
Axe 2 : Curricula et reconnaissance des identités culturelles et linguistiques
Le curriculum scolaire, conçu historiquement comme outil d’unité nationale, reste souvent centré sur une culture dominante (Apple, 2004). Cet axe explore les conditions de possibilité d’une justice épistémique : ouverture multiculturelle, approches plurilingues (Cummins, 2001 ; García & Wei, 2014) ou perspectives décoloniales (Mignolo, 2011).
Axe 3 : Formation et professionnalisation des enseignants
La formation des enseignants est décisive face à la diversité. Il s’agit d’analyser les dispositifs de formation initiale et continue qui favorisent des pratiques inclusives. Les pédagogies culturellement pertinentes ou soutenantes (Ladson-Billings, 1995 ; Gaynor, & Akay, 2020) offrent des pistes pour articuler réussite scolaire, reconnaissance identitaire et conscience critique.
Axe 4 : Expériences et résistances des apprenant-e-s
Les élèves et étudiant-e-s ne sont pas passifs : ils négocient, contestent et transforment les normes scolaires. Cet axe met en lumière leurs pratiques linguistiques, culturelles ou communautaires (Valenzuela, 1999 ; García & Kleyn, 2016), ainsi que les formes de résistance et d’empowerment qui redéfinissent l’altérité scolaire.
Axe 5 : Numérique et dispositifs sociotechniques
Les environnements numériques prolongent et reconfigurent les rapports scolaires. Entre cyberharcèlement (Blaya, 2019) et espaces de solidarité (boyd, 2014), ils deviennent des lieux d’exclusion autant que de résistance. L’axe questionne aussi les approches critiques et décoloniales (Freire, 1970 ; hooks, 1994) qui envisagent l’éducation numérique comme pratique de liberté.
Axe 6 : Perspectives comparatives et postcoloniales
Enfin, cet axe ouvre le débat au-delà de l’Europe : expériences africaines, américaines ou latino-américaines permettent de déplacer les évidences, interroger l’héritage colonial et envisager des alternatives éducatives situées (López & Küper, 2000 ; Merry, 2014). L’objectif est de nourrir une réflexion véritablement comparatiste et transnationale.
Les propositions (titre, résumé de 300 mots, 5 mots-clés, bibliographie indicative) sont à envoyer avant le 30 novembre 2025 à :
Malika Hamidi – malika.hamidi@ulb.be
Corinne Torrekens – corinne.torrekens@ulb.be
Mohamed Sakho Jimbira – mouhamedsakho@yahoo.fr
Piero Galloro – piero.galloro@univ-lorraine.fr
Les propositions préciseront les objectifs, la problématique, la méthodologie, ainsi que les rattachements institutionnels et les coordonnées des auteur-rices.
Les communications retenues pourront prendre plusieurs formes : communication individuelle, panel thématique, retour d’expérience, présentation d’outils (mallettes, formations hybrides, expositions).
Comité d’organisation
Malika Hamidi (Chercheuse postdoctorale, Université Libre de Bruxelles)
Corinne Torrekens (Professeure de science politique, Université libre de Bruxelles)
Piero Galloro (Professeur de sociologie, Université de Lorraine)
Mohamed Sakho Jimbira (Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Catholique de l’Ouest)
Norman Ajari (Maître de conférences en études noires francophones, Université d'Édimbourg)
Roberto Baelo (Professeur titulaire au département Didactique générale, spécifique et théorie de l’éducation; ancien vice-recteur à l’internationalisation, Université de León)
Géraldine André (Professeure en sciences de l’éducation, UCLouvain)
Marie Mc Andrew (Professeure émérite en sciences de l’éducation, Université de Montréal)
Mame-Penda Ba (Professeure de science politique, Université Gaston Berger)
Alessandro Bergamaschi (Professeur de sociologie, Université de Lorraine)
Sandra Cadiou (Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, Université catholique de l’Ouest)
Jean-François Côté (Professeur de sociologie, Université du Québec à Montréal)
Anna Elia (Professeure de sociologie, Université de Calabre)
Bernard Delvaux ($Chercheur qualifié FNRS, UCLouvain)
Piero Galloro (Professeur de sociologie, Université de Lorraine)
Estefanía Gómez Múñoz (Professeur de sociologie, Université de León)
Walter Greco (Professeur associé de sociologie, Université de Calabre)
Géraldine Suau (Maîtresse de conférences HDR en sciences de l’éducation et de la formation, Université de Lorraine)
Jean-Michel Perez (Professeur des universités en sciences de l’éducation et de la formation, Université de Lorraine)
Mohamed Sakho Jimbira (Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Catholique de l’Ouest)
Corinne Torrekens (Professeure de science politique, Université libre de Bruxelles)